De la pierre et de l’eau

" Je suis une marcheuse. Traverser le monde à l’échelle de mon propre corps, sans prothèse ou extension, façonne ma manière d’être là, au monde. Si je peux observer comment cette pratique active autant mon corps que mon imaginaire, je pressens que celle-ci contient des enjeux plus vastes et partageables.

Pour De la pierre et de l’eau, j’imagine des danses qui contiennent ces qualités, ces paradoxes, appui et envol, glissement, swing, rebond. Fluidité et érosion. Ces danses, rien ne semble les entraver, elles vont avec l’air. La voix les accompagne et les porte, elles sont endurantes, elles ouvrent le temps. Des sources, littéraires, musicales, soutiennent et nourrissent les pensées, les actes, les langues qui s’inventent au cours du processus. Ce sont des récits qui mettent en relation la pratique de l’art et celle de la marche, qui font se rencontrer chant et géographie, poésie et topographie.

La figure du rhapsode, poète antique qui va de ville en ville pour déclamer des odes (poèmes chantés), rassemble ces différents faisceaux d’intérêts et inspire le projet. Le rhapsode tisse ensemble des fragments d’épopées. Sa pratique récitante se fait en marchant, sa prosodie dépend de son pas. Assembler des récits éparses, articuler geste et chant, parler les paysages sont des énoncés dynamiques pour inventer des pratiques et composer avec les interprètes.

Lors de la résidence aux Bazis, nous chercherons les sentiers alentours pour les emprunter. Des collectes issues de ces pérambulations nourriront un travail d’écriture. Nous fabriquerons des récits, improviserons le dire, troublerons la langue. L’écriture de la pièce est envisagée de manière chorale. Des traces de gestes, de récits passent d’un corps à l’autre. Les couleurs, celles des costumes, de la lumière, résonnent entre elles. Des ritournelles s’inventent au travers d’instruments simples, guitare à deux cordes, petites flûtes, harmonium à trois bourdons variables.

Alors que nos géographies se précarisent, De la pierre et de l’eau tente de nourrir l’errance, le départ, de fictions plurielles, paradoxales, fécondes. Emporter dans le pas "demeure et dérive", alléger le déracinement pour célébrer la joie du trajet. Être tout à la fois la pierre et l’eau." AG